mercredi 2 mars 2011

Ma Mémoire, c'est ma Patrie.

Il a suffit d'une balle pour que la bataille éclate. Les hommes courraient vers l'extérieur, oubliant le froid de ma tendre URSS, tandis que les premier coups de l'artillerie allemande résonnaient sourdement dans ma ville. De l'autre côté de la route, il y a ma mère qui hurle mon nom: Yuri. Je marche sur le bord, en prenant soin d'éviter les flaques d'eau. Plus loin, je me baisse et regarde mon reflet dans une petite étendue boueuse. Les bombes qui pleuvent au-dessus de ma belle Stalingrad sifflent et dans le vacarme incessant des obus, mon reflet se brise, le sol tremble et tremble, il gronde et ne se repose plus.

Dans la rue, il y a l'odeur de la mort et de la guerre. Ca empeste la poudre, le sang et le métal encore chaud des douilles, les canons fumants et l'eau de pluie. Je dois trouver assez de nourriture pour ma mère et moi. Depuis quelques temps, la famine sévit et ma mère tient à peine debout. Quand le bruit des fusils devient trop proche, je me cache dans un coin, la tête plantée entre les genoux et l'interminable attente commence alors. C'est Andreï qui m'avait dit de faire ça, juste avant sa mobilisation pour le front. Cache-toi bien et ne regarde pas. Ne regarde jamais, disait-il.

Dès que je relève la tête, la rue semble déserte, mais il y a un homme à terre, inanimé. Je prends sa montre et un gourde de vodka, je sais que les soldats en sont fous. Quelques jours avant la bataille, maman et moi avions reçu un courrier d'Andreï. Il nous expliquait comment les conditions étaient rudes, à tel point que des soldats de son régiment buvaient l'alcool de l'infirmerie et de l'antigel filtré. Moi, je ne comprenais pas, mais maman semblait si triste.

Près de la Volga, il y a ce soldat qui tombe. A un bon kilomètre de là, Zikan, le sniper, compte ses victimes: ... 193, et 194. De toute la guerre, personne n'a réussi à mettre un visage, un semblant d'identité à cet homme. Je n'ai jamais vraiment su s'il s'agissait d'un véritable héros ou d'une simple légende issue des propagandes. J'ai dix ans et je vois les hommes de la Wehrmacht s'emparer de ma Stalingrad natale. La Volga est gelée, et la neige tombe, recouvrant tout le rouge répandu dans la ville. Ma mère craint la politique de la terre brulée. Au loin, il y a les Katiouchas qui crachent leur dernière roquettes dans un dernier râle. Nous montons dans un convoi bâché, et nous quittons pour de bon ce qu'il reste de Stalingrad: des gravats fumants et la mémoire d'un enfant. Ma mémoire.
Ma mémoire, c'est ma patrie.

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