Ça fait des jours que je ne
dors pas, que mon regard est éteint, que ma tête pèse des tonnes et que ma
mâchoire ne veut plus s’articuler. Je ne sais pas quand était mon dernier
repas, mais j’ai froid, le ventre qui se serre et de toute manière, je n’ai pas
vraiment faim. Si j’ai un problème, c’est que j’arrive à peine à réfléchir. Il
y a toutes les pensées du monde qui s’entassent et se bousculent dans ma tête
et ça fait bien trop longtemps. Qu’on vienne me dire que je suis ravagé,
complètement déchiré de l’intérieur, ça ne m’étonnerai pas. C’est peu probable
que tu comprennes ce que j’essaie de te montrer, faut bien avouer que je ne
sais pas l’exprimer. Et puis j’ai peur, simplement peur de te dire les
mauvaises choses, t’envoyer des messages de travers, de me découvrir une
pathologie, d’être complètement fou, un colérique sans limites et sans
contrôle, d’être un orage dans le ciel des autres, de t’écarter de moi, de ne
pas tenir les regards, de perdre mon peu de souvenirs, m’effondrer comme un
con, de ne pas savoir, mais savoir que ça va durer encore une petite éternité…
Ici, il n’y a rien d’autre
à foutre à part marcher. La neige tombe à faire pâlir le soleil et moi,
j’avance. Y’a toutes ces rues, ces noms, toutes ces images qui filent dans ma
tête. Je me déconstruis. C’est une course poursuite de tous les jours, avec
cette certitude qu’on ne gagnera jamais. La lumière est là pour se braquer sur
ce bourré qui gueule, sur cette gamine coincée entre ses parents qui en savent
rien faire que de tout se cracher à la figure. Et l’autre aussi, lui qui pousse
un chariot, qui sait pas où dormir et moi, un peu paumé dans cette
semi-pénombre, qui rentre dans un café.
Mon stylo écrit à blanc mes
idées mortes, ces mots qui ne viennent pas, il se penche sur la feuille pour
donne vie à tous ces verbes qui ne se conjuguent qu’à l’imparfait. Le jour s’en
va comme mon inspiration, et dans le noir les bus et les trams grouillent et
défilent, laissant toutes ces lucioles mourantes dans mes yeux.